Décès de M. Christophe Picard

Nous avons eu la grande tristesse d’apprendre la disparition samedi matin de notre collègue Christophe Picard, professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste de l’Islam médiéval et de la Méditerranée.

     Né à Carthage en 1954 dans une famille d’illustres historiens de l’antiquité, il s’était tourné, après l’agrégation obtenue en 1982, vers l’histoire de l’Islam médiéval, en préparant sous la direction de Dominique Sourdel sa thèse de 3e cycle sur le Portugal musulman. Soutenue en 1986 et publiée sous le titre Le Portugal musulman [viiie-milieu xiiie siècle]. L’Occident musulman d’al-Andalus sous domination islamique, Paris, 2000, elle fut suivie en 1994 par son HDR, publiée à son tour sous le titre L’océan Atlantique musulman de la conquête arabe à l’époque almohade. Mise en valeur des côtes d’al-Andalus et du Maghreb al-Aqsâ (Paris, 1997). Après une dizaine d’année d’enseignement dans le secondaire il est élu en 1989 maître de conférences à l’Université de Saint-Etienne, puis à Toulouse, où il accède au grade de professeur en 1998, avant de prendre en 2004 la succession de Michel Balard à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

     Il s’est affirmé très tôt au niveau international comme un des meilleurs spécialistes de l’Occident islamique et plus largement des rapports entre l’Islam et la mer, dont il a profondément renouvelé l’étude. Il consacra à ces thématiques, en plus de très nombreux articles, plusieurs ouvrages, dont La mer et les musulmans d’Occident au Moyen Âge : viiie – xiiie siècle (Paris, 1997), La mer et le sacré en Islam médiéval (dossier de la Revue du monde musulman et de la Méditerranée, 130, 2012) et dernièrement La mer des califes. Une histoire de la Méditerranée musulmane, viie-xiie siècle (Paris, 2015, traduit en anglais, italien et arabe). Rattaché à partir de 2004 à l’UMR Islam médiéval (puis Orient & Méditerranée), il en devient très vite un des moteurs, contribuant notamment à monter en 2006 un séminaire sur l’Occident islamique qui se tient depuis, tous les mois, au Colegio de España de la Cité universitaire internationale.

     Esprit toujours ouvert et curieux, il n’a eu de cesse de construire des ponts et d’échanger avec les historiens de Byzance et des mondes latins. Il a ainsi participé à quatre congrès de la SHMESP (Brest 1992, Orléans 1994, La Rochelle 2004 et Le Caire 2007), et dirigé avec Laurent Feller et Michel Kaplan un programme sur les élites rurales méditerranéennes au Moyen Âge (dossier des Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 124/2, 2013). A partir de 2005, il anima avec Dominique Valérian, Damien Coulon et Annliese Nef un séminaire mensuel sur la Méditerranée médiévale faisant dialoguer des spécialistes des différentes régions (Espaces et réseaux en Méditerranée, vie-xvie siècle, 2 vol., Saint-Denis, 2007 et 2011 ; Les territoires de la Méditerranée (xie-xvie siècle), Rennes, 2013). En 2014 La Méditerranée au Moyen Âge: les hommes et la mer, co-écrit avec Michel Balard, affirmait encore cette exigence d’une histoire partagée entre mondes chrétiens et islamiques.

     Il avait aussi beaucoup contribué à diffuser les études sur l’Islam médiéval dans l’enseignement universitaire français, par les manuels qu’il a écrits ou auxquels il a contribué (le « Bréal » en 1994, Le monde musulman du xie au xve siècle, Paris, 2000, plusieurs fois réédité), mais aussi en proposant en 1999 à l’agrégation une question sur les relations entre l’Islam et les mondes latins qui se démarquait du récit traditionnel de l’expansion latine et en siégeant plusieurs années de suite au jury. Maître exigeant, toujours disponible et bienveillant, il a formé une génération de spécialistes de l’Islam médiéval mais aussi des cohortes d’étudiants de licence et de master dont certains se souviennent encore avec bonheur de son enseignement.

     Cette place dans le champ scientifique français et international ne doit pas faire oublier que Christophe Picard fut aussi un collègue qui alliait une rare modestie, une gentillesse et un engagement sans faille au service du collectif, dans les universités dans lesquelles il a enseigné, par exemple comme directeur du département d’histoire de l’Université Toulouse Le Mirail, mais aussi à la section 21 du CNU où il a siégé à deux reprises et dont il fut vice-président.

     Même si, très affecté ces dernières années par la maladie d’Alzheimer, il avait dû s’éloigner trop tôt de ses activités d’enseignement et de recherche, il laisse à la médiévistique française un héritage considérable.

 (Texte rédigé par Dominique Valérian)

La SHMESP adresse ses plus sincères condoléances à ses collègues, ses proches et sa famille.