Décès de Mme Elisabeth Magnou-Nortier
Chères et chers collègues,
La SHMESP a appris le décès de notre collègue Élisabeth Magnou-Nortier le 24 mars 2024. Professeur honoraire à l’Université de Lille, spécialiste du haut Moyen Âge, épouse de Michel Nortier (1923-2007) qui acheva la publication des actes de Philippe Auguste, elle a marqué l’historiographie par une lecture originale des sources que l’on a qualifiée de « fiscaliste » et qu’elle a défendue avec opiniâtreté et passion en dépit d’une réception contrastée de la part du monde académique. Née en 1930, Élisabeth Magnou-Nortier a soutenu une thèse d’État à l’Université de Toulouse (1972), publiée en 1974 sous le titre La société laïque et l’Église dans la province ecclésiastique de Narbonne (zone cispyrénéenne) de la fin du VIIIe à la fin du XIe siècle. Fondé sur une lecture serrée des sources, le livre mettait en lumière les logiques internes de l’organisation de la société et de l’Église avant la réforme grégorienne et manifestait déjà un intérêt prononcé pour les formes de permanence de l’autorité publique entre Antiquité et Moyen Âge. Celles-ci occupèrent ses recherches pendant les décennies suivantes et lui donnèrent l’occasion de croiser les travaux de Jean Durliat, antiquisant et byzantiniste, ainsi que des médiévistes de l’Institut historique allemand de Paris, Karl Ferdinand Werner et Martin Heinzelmann. Maître de conférences puis professeur à l’Université de Picardie, elle succéda en 1989 à Michel Rouche comme professeur à l’Université de Lille III. Entre 1991 et 1993, alors directrice du Centre de recherche sur le haut Moyen Âge, elle initia une série de journées d’études consacrées au lexique de la gestion publique, à son usage et à son évolution durant le haut Moyen Âge qui furent publiées en trois volumes successifs sous le titre global Aux sources de la gestion publique (Lille, Presses universitaires de Lille, 1993, 1995 et 1997). Toujours très attentive aux sources, elle a aussi mené à bien en compagnie de sa sœur, Anne-Marie Magnou, l’édition des chartes de l’abbaye de La Grasse jusqu’en 1119 (CTHS, 1996) ; ainsi que la traduction de documents emblématiques comme le Capitulaire de villis (dans la Revue historique, n° 607, 1998) ou encore le livre XVI du Code théodosien (Cerf, 2002).
Son enseignement était marqué par une extrême exigence : gare à l’étudiant qui, en commentant un document, se contentait de répéter les lignes d’un manuel sans proposer sa propre lecture critique ! Les autres observaient, non sans une certaine fascination, le développement d’une pensée singulière qui entendait renouveler l’approche du haut Moyen Âge en défendant l’idée d’une permanence des structures administratives romaines, fondée sur l’étude minutieuse d’un vocabulaire – la villa, le mansus, le beneficium, les coloni, les pagenses, etc. – censé renvoyer une réalité immuable. Retirée de la vie universitaire, elle consacra plusieurs années à achever ce qu’elle considérait comme son œuvre maîtresse, publiée chez Droz en 2012 sous le titre Aux origines de la fiscalité moderne. Le système fiscal et sa gestion dans le royaume des Francs à l’épreuve des sources, Ve-XIe siècles.
(Texte rédigé par Agnès Graceffa et Charles Mériaux)
La Société des Historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public adresse ses condoléances attristées à sa famille, amis et collègues.