Soutenance de thèse de Thomas Lacomme (3 déc. 2021)
Thomas Lacomme soutiendra publiquement sa thèse de doctorat en Histoire médiévale intitulée « La collégiale Saint-Étienne de Troyes : de la création comtale à la puissance champenoise (1152-1158 – 1314) », préparée à l’École pratique des hautes études sous la direction de M. Laurent Morelle , le 3 décembre 2021 à 14h00 à la Maison des Sciences de l’Homme, salle 01, 54 boulevard Raspail, 75006 Paris.
Le jury sera composé de M. Paul Bertrand (U. catholique de Louvain), de M. Olivier Guyotjeannin (École nationale des chartes), de Mme Anne Massoni (U. de Limoges), de M. Olivier Mattéoni (U. Paris-I Panthéon-Sorbonne), de Mme Brigitte Meijns (KU Leuven), de M. Laurent Morelle (École pratique des hautes études) et de Mme Catherine Vincent (U. Paris-Nanterre), membres du jury.
Résumé :
Fondée entre 1152 et 1158 par le comte Henri le Libéral (1152-1181), Saint-Etienne de Troyes est la tête de pont d’un ensemble d’une vingtaine de collégiales séculières fondées en Champagne méridionale par les comtes, leurs vassaux ou des clercs, entre le milieu du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle, à une époque où de telles fondations sont devenues rares, après les très nombreuses réformes entreprises depuis le milieu du XIe siècle et les transformations de nombreuses collégiales séculières en monastères ou bien en collégiales régulières, partout en Europe. Le choix étonnant d’Henri le Libéral pour les collégiales séculières s’explique par un ensemble complexe de raisons politiques (collégiales comme viviers d’agents pour une principauté en cours de structuration), religieuses (diversification de l’Église régionale et lutte contre la dissidence), institutionnelles (« souplesse » des collégiales séculières, plus perméables aux influences extérieures, y compris sur le plan de la liturgie ; patronage comtal et collation des prébendes par le comte) et biographiques (importance dans la vie d’Henri le Libéral de son expérience de la Terre Sainte, où les chanoines avaient une place centrale dans le paysage ecclésiastique et une influence déterminante sur la liturgie).
Parmi ces collégiales séculières fondées aux XIIe-XIIIe siècle en Champagne méridionale, nulle ne fut en plus étroites relations avec Henri le Libéral que Saint-Étienne de Troyes. D’ailleurs, celle-ci est le troisième établissement qui bénéficia le plus de chartes comtales durant le principat d’Henri Ier, derrière l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Jouy et la collégiale régulière Saint-Loup de Troyes, voire le deuxième établissement, si nous excluons les chartes passées sous le sceau du comte au titre de sa juridiction gracieuse. L’église, premier édifice gothique de Champagne méridionale, aux airs et aux dimensions de cathédrale, faisait partie du nouvel ensemble palatial qu’il avait fait émerger, au début de son principat, dans le Bourg-Saint-Denis. Dans cette collégiale palatiale, il venait assister aux offices depuis une tribune, à laquelle il pouvait accéder directement depuis ses appartements. Il est possible qu’il s’y rendait aussi pour consulter les livres de sa bibliothèque, qui étaient conservés au début du XIVe siècle dans le « vieux trésor » de la collégiale. Après sa mort, Saint-Étienne de Troyes devint son tombeau.
Les successeurs du Libéral conservèrent avec Saint-Étienne de Troyes des relations importantes, même si l’analyse des bénéficiaires des chartes comtales conservées entre 1181 et 1314 laissent apparaître de probables fluctuations dans le patronage comtal de la collégiale palatiale. Si le court principat effectif d’Henri II (1187-1190) avait peut-être déjà correspondu à une première inflexion des relations, le principat effectif de Thibaud IV (1222-1253) semble avoir été la période où Saint-Étienne de Troyes fut la moins bien soutenue par le pouvoir comtal. Ce comte, devenu roi de Navarre en 1234, eut avec les collégiales séculières de son comté des relations compliquées, qui l’étaient peut-être moins, en comparaison, avec Saint-Étienne de Troyes, parce que cette dernière lui avait prêté des objets précieux issus de son trésor, qui servirent à gager certains de ses prêts. Le fils de Thibaud III semblait néanmoins plus enclin à soutenir les abbayes féminines cisterciennes. Saint-Étienne de Troyes retrouva des relations plus étroites avec le pouvoir comtal sous Thibaud V (1253/1256-1270), qui paraît ne pas avoir oublié la collégiale palatiale troyenne, alors même qu’il multipliait les fondations de messes ou d’anniversaires en d’autres sanctuaires, pour le salut de son âme et de celles de ses parents, et que les contours de sa dévotion personnelle le conduisaient davantage vers les ordres mendiants et rédempteurs que vers les collégiales séculières.
Malgré ces fluctuations, la permanence de ce lien entre le pouvoir comtal et la collégiale palatiale troyenne s’explique par les fonctions que celle-ci remplissait pour celui-là : probable chancellerie des comtes, Saint-Étienne de Troyes jouait un rôle dans l’organisation des foires de Champagne et, surtout, était l’un des centres principaux de l’élaboration de la memoria princière. Même si la collégiale palatiale ne fut jamais l’équivalent de Saint-Denis en Champagne, dans la mesure où seuls deux Thibaudiens y furent inhumés (Henri Ier et Thibaut III), tous les comtes y bénéficièrent d’un anniversaire, avec cet effet que les célébrations princières doublaient le cycle des fêtes liturgiques solennelles. La fonction mémorielle assumée par Saint-Étienne de Troyes explique en partie la vaste collection de reliques que conservait son trésor.
Les relations de Saint-Étienne de Troyes avec les comtes de Champagne sont l’un des principaux facteurs de sa puissance. Cependant, la collégiale palatiale n’était pas la servile créature de ces princes. D’une part, des tensions existèrent parfois entre le chapitre et leurs patrons, en particulier concernant l’aliénation des prébendes. D’autre part, Saint-Étienne de Troyes pouvait compter sur d’autres atouts, indépendamment des Thibaudiens : d’abord sa communauté canoniale étendue (entre cinquante-six et cinquante-neuf individus bénéficiaient des neufs dignités et des soixante-douze prébendes du chapitre) ; ensuite son temporel considérable, qui s’est fortement étendu géographiquement du milieu du XIIe siècle au début du XIVe siècle. La puissance de Saint-Étienne de Troyes semble s’articuler autour de trois pôles interdépendants : ses droits seigneuriaux, son patrimoine foncier et ses opérations de crédit.
En 1314, Louis X, fils d’un roi de France et d’une comtesse de Champagne, succéda à son père. De facto la Champagne fut rattachée au domaine royal. À cette époque-là, Saint-Étienne de Troyes était donc un acteur politique puissant à l’échelle du comté. L’une des principales sources qui documente les fondements de cette puissance et les relations entretenues par cette église avec le pouvoir comtal est le cartulaire de Saint-Étienne de Troyes (BNF, ms. lat. 17098), qui contient 802 actes ou mentions d’actes, copiés sur 394 folios, dont la présente thèse propose une édition scientifique.