Tribune – Réforme de la formation des enseignants

Que le temps soit laissé à la concertation

 

 

Que le temps soit laissé à la concertation

Les associations universitaires d’histoire et de géographie demandent un report de la réforme de la formation des professeurs

 

Les précisions que nous recevons au compte-gouttes, via des « fuites » plus ou moins organisées, révèlent l’ampleur de la réforme de la formation et du recrutement des professeurs des premier et second degrés et conseillers d’éducation. Les « écoles normales du XXIe siècle » promues par Gabriel Attal insèrent le concours de recrutement au second semestre de la L3, alors qu’il était situé depuis plus de trente ans à bac + 4, et depuis 2021en fin de M2. Elles transforment en profondeur le cursus de formation des futurs professeurs :

  • au niveau licence, création d’un cycle préparatoire aux nouvelles ENSP (Écoles nationales supérieures du professorat) : il s’agit d’une licence préparatoire au professorat des écoles (LPPE) pilotée par les futures ENSP, pour le concours de recrutement au professorat des écoles (CRPE), ou de parcours de préprofessionnalisation dans les licences disciplinaires ; et pour le CAPES de la création de deux modules « enseignement » de 30 ECTS, soit deux semestres complets, dans les licences disciplinaires.
  • au niveau du master, un « cycle supérieur des ENSP », formation professionnalisante de fonctionnaires stagiaires rémunérés (1 400 € en M1, 1 800 € en M2) des lauréats du concours, avec une titularisation anticipée en fin de M2.

–      au niveau des épreuves du concours fixées en fin de L3 : 2 épreuves d’admissibilité disciplinaires, 2 épreuves d’admission dont une épreuve professionnelle.

Le changement de cap par rapport à la réforme issue de la loi « Pour une école de la confiance » (juillet 2019), est radical, alors même que la première promotion venait à peine d’arriver au concours, au printemps 2023. Très fortement contestée, cette réforme n’aura fait qu’accentuer une crise du recrutement des professeurs récurrente depuis 2010, qui s’avère aujourd’hui à la hauteur des inquiétudes avec des taux de postes non-pourvus aux concours qui avoisinent les 20 %[1]. Elle disparait avant la fin de sa troisième année, sans aucune évaluation officielle précise. Seul un rapport de la Cour des comptes « Universités et territoires » concluait dès février 2023 à la perte d’attractivité des formations des enseignants[2].

Les associations universitaires d’histoire et de géographie, SHMESP, AHMUF, H2C et CNFG, se félicitent que soit mis un terme à la formation des enseignants pensée par J.-M Blanquer, tant il est clair qu’un État démocratique ne peut envisager la pérennisation d’une telle insécurité dans le recrutement des professeurs de l’enseignement public. Elles reconnaissent que le niveau de la rémunération des fonctionnaires stagiaires, lauréats et lauréates des concours, prévu par la réforme sera à coup sûr un élément d’attractivité, mais ajoutent que c’est surtout la stabilisation de la formation et des concours de recrutement, en plus de conditions décentes d’exercice du métier, qui pourront sécuriser la formation aux métiers de l’éducation et de l’enseignement. Cela suppose des orientations fixées nettement en amont et une concertation capable d’emporter l’adhésion suffisante des parties prenantes. Or de ce point de vue, nous reconnaissons bien la méthode qui consiste à imposer des transformations substantielles brutalement, dans la précipitation et l’incertitude, et sans aucune concertation préalable des différents interlocuteurs, en particulier les représentants des composantes universitaires concernées (UFR disciplinaires, Inspé). Elle est la même qu’en 2019.

Le projet qui se profile aujourd’hui prévoit ainsi de commencer dès septembre 2024 à mettre en place la nouvelle licence LPPE[3] coordonnée par l’ENSP, structure dite « sui generis », au statut encore indéfini, et les deux modules semestriels au sein des licences disciplinaires dont nous n’aurons le cadrage qu’en mai, ainsi qu’une année de M1 dont on ne sait pas encore s’il s’agit d’une prépa-concours ou d’une année de formation. À nouveau, les ministères imposent une cadence infernale, irrespectueuse des calendriers universitaires, à des formations qui sont bien évidemment diverses à l’échelle nationale, et pour cette raison il faut le rappeler impropres à l’application d’un schéma unique. À nouveau, nous allons mettre en place des années de transitions réalisées à rythme forcé, dont nous connaissons, hélas, les effets en termes de perte de cohérence des formations et de discontinuité des progressions. Au-delà, faire le choix d’une telle hâte rompt le principe d’égalité entre établissements et territoires dans leur capacité à proposer les formations attendues en licence.

 

C’est pourquoi les associations universitaires d’histoire et de géographie appellent à surseoir à cette réforme au moins pour cette année, afin de donner le temps de construire un projet concerté, véritablement ambitieux pour la formation des enseignants au 21e siècle.

 

À leurs yeux, les points suivants réclament éclaircissement :

– MOYENS ET ATTRIBUTIONS DES PARTENAIRES : le texte est flou sur les attributions de chacun et sur les moyens financiers et humains mis à disposition pour la réalisation de la réforme. Comment les petites et moyennes universités vont-elles parvenir à financer les modules « enseignement » de licence, tout en maintenant de véritables licences disciplinaires en histoire et/ou en géographie ? Le risque de disparition de formations CAPES est réel, comme la perte d’égalité des territoires face aux concours qu’elle entrainerait. Cela a déjà été le cas de nombreuses préparations au CAPLP (concours d’accès au corps des professeurs de lycées professionnels), et pour des raisons différentes à l’agrégation. De plus, il n’est pas fait référence au partenariat entre UFR disciplinaires et Inspé qui a permis jusqu’ici d’articuler tant bien que mal formation professionnelle et formation disciplinaire fondamentale jusqu’à la fin du master.

UNE FORMATION UNIVERSITAIRE DES DISCIPLINES ET DE LEURS DIDACTIQUES JUSQU’AU M2 : les temps de la formation disciplinaire tout autant que les contenus de formation des modules « enseignement » et du master demeurent indéfinis.

Le master ENSP met l’accent sur la pratique professionnelle et sur la mise en responsabilité. Cela ne doit conduire ni à une réduction du volume horaire de la formation, actuellement fixé à 800 heures d’enseignement[4], ni à celle des exigences scientifiques et de la place de la recherche prévue par le cadrage européen du master, dans la formation. L’expérience de la recherche universitaire, disciplinaire et didactique, est seule capable d’apporter aux futurs professeurs la maturité nécessaire à une pratique exigeante de l’enseignement. C’est particulièrement le cas en géographie et en histoire, dont on connait l’importance de la mission civique. Les UFR disciplinaires doivent avoir toute leur place dans cette formation « à » et « par » la recherche.

Concernant la formation pluridisciplinaire des professeurs des écoles, si le choix est fait de renforcer les formations en mathématiques et en lettres, il faut également souligner l’importance essentielle de la formation en histoire et en géographie, au sein des disciplines dites « de la polyvalence » qui doivent rester présentes dans les maquettes des licences PPE, comme des masters ENSP. Il y va de la place si importante de l’histoire et de la géographie – a fortiori dans le monde d’aujourd’hui – dans les programmes scolaires et  dans la société.

CONCOURS : nous restons attachés aux questions thématiques du concours du CAPES d’histoire-géographie, socles de la formation des enseignants mais également structurantes pour les dynamiques de nos disciplines. De même, la disparition des écrits du CRPE pour les étudiants qui auront validé la licence PPE représente une nouvelle régression du recrutement par concours.

PASSERELLES : la possibilité, pour les étudiants et étudiantes engagés en parcours « enseignement » qui souhaiteraient revenir sur leur choix, ou au contraire pour des étudiants et étudiantes engagées dans un cursus général, qui souhaiteraient s’orienter vers les parcours « enseignement » reste tue. Elle est pourtant également un élément important d’attractivité et la garantie du maintien d’une indispensable perméabilité entre exigences de l’enseignement et de la recherche.

 

Pour toutes ces raisons, les associations universitaires d’histoire et de géographie demandent que des précisions soient apportées rapidement sur les attendus de cette énième réforme majeure du système éducatif français, déjà si fragilisé, et que le temps soit laissé à la concertation, à l’écoute des instances représentatives des principaux concernés par ces réformes, par un report de la réforme.

 

Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public (Shmesp)

Association des historiens modernistes des universités françaises (Ahmuf)

Historiennes et historiens du contemporain (H2C)

Association des professeurs d’Histoire-Géographie (APHG)

Comité National Français de Géographie (CNFG)

Avec le soutien de la section 22 du CNU et de la Société française d’histoire politique (Sfhpo)

 

 

 

[1] 21,8 % en 2022, 16 % en 2023 pour le premier degré (les chiffres approchant les 50% dans les académies de Créteil et de Versailles certaines années) ; 23 % en 2022 et 17,6 % en 2023 pour le CAPES, toutes voies confondues). https ://www.education.gouv.fr/resultats-des-concours-enseignants-de-la-session-2023-378722

[2] https://www.ccomptes.fr/fr/publications/universites-et-territoires

[3] Les maquettes de la Licence doivent être sur Parcours Sup à l’automne 2024.

[4] Cadrage ministériel des master MEEF https://www.devenirenseignant.gouv.fr/media/6998/download (p. 5) : 800 heures d’enseignement minimum hors stage dont 45 % relevant des savoirs