XLIIe congrès de la Shmesp –
Oxford, 31 mars-2 avril 2011

Expertise et conseil au Moyen Âge

Argumentaire

Le thème proposé pour notre congrès, « Expertise et conseil au Moyen Âge », se situe dans un courant de recherches en plein renouvellement depuis quelques années. L’ampleur et la polysémie des termes nécessitent toutefois quelques précisions préalables pour éviter de dériver vers des communications relatives à la seule littérature technique, aux conseils généraux adressés à telle ou telle catégorie sociale ou fonction. Ce sujet implique de considérer d’abord les lieux, les moments, les hommes qui produisent une expertise, les documents qui la consignent et l’usage qui en est fait (ou qui n’en est pas fait). On veillera donc toujours à faire la part entre l’expertise à proprement parler et la décision ou le jugement rendu. Le thème du congrès suppose de s’intéresser à la place de l’expert et de l’expertise tout au long d’un processus pré- ou para-décisionnel. Il n’est pas rare en effet qu’une expertise soit sollicitée à titre dilatoire, voire pour éviter de prendre une décision. En somme, les contributions chercheront à dégager le lien entre l’expertise et l’autorité qui la suscite ou qui la reçoit. Elles prendront appui sur toutes les aires géographiques (Occident, Byzance, monde musulman) et chronologiques, du Ve au XVe siècle.

Il ne sera pas question d’envisager séparément les deux termes du sujet. On ne présentera pas en tant que telle la place des experts et des techniciens dans la société. De la même manière, la littérature d’expertise (traités d’agronomie, conseils moraux dispensés dans les miroirs aux princes et tout autre type de littérature normative et descriptive) ne sera pas envisagée pour elle-même, mais seulement si un rapport direct avec la pratique de l’expertise est avéré. Est aussi exclu du sujet le fonctionnement des conseils en tant qu’instances délibératives. Ne seront prises en compte que les situations qui mettent en scène l’intervention d’un (ou de plusieurs) expert(s). En d’autres termes, les conseils municipaux, les conseils royaux en tant qu’institutions sont hors du champ d’étude, sauf si les délibérations font apparaître des recours à des personnalités qualifiées ex officio pour éclairer la prise de décision.

À titre d’exemples, on évoquera ci-après quelques thèmes succincts au sein desquels les communications pourraient prendre place :

1. Le recours à l’expertise

Quels sont les éléments, de fait et de droit, qui la motivent ? Pourquoi ses promoteurs font-ils le choix (souvent coûteux) de ne pas s’en tenir au savoir commun ? On s’attardera sur la manière dont l’expertise est requise et sur l’autorité reconnue à l’expert. De quelle reconnaissance préalable bénéficie-t-il ? Le recours à l’expert est-il unique, ponctuel ou régulier ? Est-il obligatoire dans le cadre de certaines procédures ? Les consultations mettent-elles seulement en jeu des individus ou peut-on observer des expertises collégiales ? Ces questions peuvent induire une réflexion sur la compétition entre experts (voir infra). Enfin, sous quelle forme l’expertise est-elle sollicitée ? Il y aura lieu par exemple de s’interroger sur les enquêtes, royales ou seigneuriales, qui ne nécessitent pas systématiquement la participation d’experts, mais peuvent faire appel à leurs services.

2. Le statut de l’expert

La production de l’expertise participe à la définition d’une position et d’un statut dont l’expert tire forcément parti. Quels sont les mots employés pour le nommer ? Dans quelles conditions observe-t-on la constitution d’un véritable groupe professionnel ? Une reconnaissance académique ou professionnelle préalable constitue-t-elle un élément indispensable pour la désignation d’un expert ? Quelles rémunérations les experts tirent-ils de leurs consultations ? Quels liens et quelles obligations les lient à ceux qui les sollicitent ? Y-a-t-il une déontologie propre aux experts ? Dans quelles conditions engagent-ils leur responsabilité professionnelle ?

3. Les champs de l’expertise

Ils sont multiples. On songe en premier lieu à la médecine et au droit, mais cela concerne aussi le domaine militaire – particulièrement à la fin du Moyen Âge –, artistique, astrologique ou théologique (avec la part prise par l’Université). Bornages et arpentages figurent parmi les activités les plus courantes. L’expertise des écritures, comme lors du procès de Robert d’Artois, peut aussi donner lieu à des contributions de nature à enrichir la réflexion. On pourra s’interroger sur le genre de l’expert(e) et l’existence d’une expertise proprement féminine (exercée par les matrones : que l’on songe au procès de Jeanne d’Arc). Le domaine artisanal et économique ne devrait pas rester à l’écart : contrôle des poids, des mesures, des monnaies, des procédés de fabrication, litiges sur la qualité ou la quantité des produits…

4. Production et outils, savoir-faire et auctoritas

De quelle manière l’expertise est-elle menée ? Sous quelle forme et dans quels documents est-elle consignée ? De quels outils les experts se servent-ils ? Quels sont les liens entre l’exégèse savante et la production des avis d’experts ? L’expertise est-elle toujours publique ou revêt-elle parfois la forme du secret ?

5. Les usages de l’expertise.

Se pose aussi le problème de la validité et de la valeur de l’expertise, de son usage dans la prise de décision finale, voire aussi par la suite. Quelle est sa portée ? Purement indicative ? Réellement contraignante ? Les cas de remise en cause et de contestation de l’expertise et de l’expert ne sont pas rares. Les conflits d’experts sont au cœur de la réflexion. La postérité d’une expertise et son réemploi en d’autres circonstances pourront aussi être examinés.