XLVIe congrès de la Shmesp
– Montpellier, 28-31 mai 2015

Gouvernement des âmes, gouvernement des hommes

Argumentaire

Le thème du gouvernement, entendu comme l’ensemble des conditions dans lesquelles un pouvoir s’exerce sur une population, la domine, la contrôle, organise sa vie, a pris une importance nouvelle dans l’historiographie depuis une dizaine d’années. Le congrès de Montpellier mettra en valeur l’intérêt de cette tendance récente, qui réside non seulement dans le dépassement d’une opposition souvent trop mécanique entre norme et pratique ou institutions et société, mais aussi dans un changement de perspective pour l’analyse de la formation et de l’évolution des grands cadres politiques. Car, s’il n’y a pas toujours eu d’« État » moderne ou pré-moderne, il y a toujours eu, semble-t-il, des formes de gouvernement. À des échelles certes très variées (éventuellement réduites à des communautés aussi étroites que celle du monastère), ces actualisations étaient caractérisées par la mise en oeuvre plus ou moins souple de lois ou de règles – mise en oeuvre dont les modalités étaient plutôt commandées par des objectifs supérieurs que par le formalisme juridique, sans pour autant que les formes soient négligeables.

On veillera à ne pas diluer l’approche, pour éviter de perdre de vue le fil directeur : les multiples aspects de l’histoire des cadres politiques ne seront abordés que dans la mesure où leur étude permettra d’éclairer les conditions de l’interaction entre gouvernants et gouvernés. Cette perspective étant posée, on étudiera non seulement les diverses techniques et procédures administratives mises en oeuvre dans les formations politiques médiévales en tout genre, mais aussi les liens idéologiques ou idéels, comme on voudra, entre les détenteurs des pouvoirs et les groupes et individus qui leur ont été soumis, fidèles, obéissants. Le gouvernement pastoral, dans le cadre de l’institution ecclésiale mais aussi comme laboratoire du gouvernement séculier, sera bien sûr considéré. Par ailleurs, toutes les actualisations de la vieille logique aristotélicienne qui mettait en relation gouvernement de soi et gouvernement des autres pourront être examinées. À la dialectique entre moyens concrets et moyens immatériels du gouvernement sera donc combinée celle qui met en relation comportement individuel et direction ou administration de la communauté.

Une telle approche a l’avantage de concilier le réexamen sous un jour nouveau d’anciennes thématiques avec l’intégration d’objets de recherche plus récents. Elle permet d’aborder et comparer toutes les périodes du millénaire médiéval et toutes les aires civilisationnelles (en particulier bien sûr l’Occident latin, l’Orient chrétien et les mondes musulmans).

1. Les mots du gouvernement

Autant qu’elle s’exerce, l’autorité se dit. Il apparaît dès lors utile d’explorer les champs lexicaux de la pratique du gouvernement, en particulier dans sa dimension normative et « disciplinaire » (entendons par là le disciplinement des comportements). On sera attentif aux évolutions sur la longue durée de mots comme administratio, ministerium ou regimen, dans les sphères laïque et ecclésiastique (notamment en contexte monastique). Le concept de jurisdictio pourrait être aussi à réinterroger, tout comme ceux d’obedientia et de fides, de preceptum et de dispensatio, et l’usage de verbes comme jubere, mandare, ordinare… La formulation des impératifs couramment présentés comme ceux de l’action gouvernementale, tels le « bien public », la « commune utilité » ou le « bien de la paix », pourra être examinée. Des réflexions de même nature sur les équivalents lexicaux grecs ou arabes apporteraient un contrepoint fructueux et autoriseraient la comparaison des catégories qui structurent les relations de gouvernement dans les différentes aires culturelles médiévales.

2. Sphères religieuse et séculière : échanges et influences

L’intitulé du congrès invite à réfléchir prioritairement aux liens, aux allers et retours et aux porosités entre les formes de gouvernement laïc et religieux. On portera une attention spéciale aux modèles issus des Écritures saintes ou de leurs commentaires autorisés, et, surtout, aux phénomènes d’importation et d’hybridation de pratiques expérimentées par l’une et l’autre sphères : gouvernement par la grâce et la dispense, dimensions pastorales prises par certaines dominations séculières, sacralisation de l’autorité politique, influence du droit romain sur la construction du droit canonique, influence du droit féodal sur le droit bénéficial… Le thème classique de la formation des personnels de gouvernement et des mouvements d’hommes entre les administrations ecclésiastiques et séculières pourra être abordé à nouveaux frais. Les échanges se faisant dans les deux sens, on pourra s’interroger aussi sur ce qui finalement empêche, dans l’ordre dogmatique comme dans la pratique, la confusion des gouvernements religieux et temporel et ce qui continue de les différencier nettement dans les mondes chrétiens. A contrario, en terre d’Islam, l’absence de clergé pose différemment, en termes de co-extensivité plus ou moins complète, la question des liens entre pouvoir temporel et autorité spirituelle – cette dernière étant revendiquée par le monde des oulémas, mais aussi des mystiques, qui entendent incarner un autre type de pouvoir, complémentaire ou concurrent.

3. La construction du consentement et de la légitimité

Il n’est pas de pouvoir ou d’autorité durablement efficace sans le consentement des gouvernés, à quelque échelle que l’on se situe – celles du monastère (khânqâh ou zaouïa dans le monde musulman), du diocèse, de la ville, des ordres religieux (ou des confréries soufies en terre d’Islam), du royaume, de l’Empire ou de l’Église. Ce consentement, qui vaut parfois délégation de pouvoir, passe par des formes de participation (qui relèvent aussi de la négociation) et/ou d’adhésion active ou passive. On s’interrogera aussi bien sur les pratiques de représentation, d’assemblée, de délibération, de vote et d’élection, que sur les effets d’inculcation ménagés par des médias puissants comme la prédication ou les vecteurs de la communication visuelle. On n’oubliera donc pas les images, quels que soient leur statut et leurs supports (jusqu’aux sceaux et aux monnaies). Des questions comme celles de l’opinion publique et de l’amour des sujets pour le souverain pourront bien sûr être envisagées. À une échelle élargie, on pourra s’intéresser aux formes de construction de l’adhésion par l’évangélisation et l’islamisation, en recherchant notamment les sources qui évoquent la recherche du consentement des convertis. On s’interrogera aussi sur les formes d’intériorisation de la norme (qu’il s’agisse de norme individuelle ou collective) saisissables à travers de nombreux types de sources (par exemple les summe de casibus).

4. Techniques de gouvernement

En se gardant de verser dans l’opposition convenue entre théorie et pratique, on pourra reprendre une série de thèmes et d’objets dont certains ont récemment fait l’objet d’une attention particulière de la part des médiévistes : ainsi le phénomène massif et protéiforme des enquêtes (dont l’analyse est bien loin d’être épuisée), les visites pastorales, le contrôle des agents du pouvoir en général, les multiples formes de l’écrit de gouvernement, les pratiques comptables ou de dénombrement des populations, les moyens de coercition, les techniques d’exclusion ou d’inclusion forcée (sanctions canoniques, bannissements des dissidents ou des minorités) avec leurs objectifs de soumission autant que d’inculcation de fidélités vécues, individuelles et collectives.

 

Programme du congrès

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