XLVIIe congrès de la Shmesp – Arras, 26-29 mai 2016

Histoire monde, jeux d’échelles et espaces connectés

Argumentaire

Au-delà des engouements historiographiques, serait-il temps pour les médiévistes – et pas seulement à propos du XVe siècle – de poser un regard critique sur les projets et enjeux portés par les histoires globale et connectée, d’apprécier ce que ces propositions ont – ou non – de neuf et de fécond ? On se souviendra avec modestie que la médiévistique fut souvent pionnière en matière d’histoire comparée – Marc Bloch dès les années 1920 – ou encore d’histoire « internationale ». En effet, les cadres spatiaux que manipulent les médiévistes s’accommodent mal d’une lecture nationale. En outre, les connexions et les jeux d’échelles, la diversité, les articulations entre espaces et temporalités (C. Grataloup : « les périodes sont des régions du monde »), entre micro et macro, la nécessité de regarder d’ailleurs et la pratique du décentrement, tout cela est-il si étranger aux médiévistes ? La volonté de décloisonnement disciplinaire que proclame l’histoire connectée, faisant converger le social, le politique, l’économique, le culturel, n’est-elle pas, de toute façon, une évidence ?

Ces questions invitent à une triple approche, qui s’apparente à un triple enjeu : méthodologique, historiographique, pédagogique. Il apparaît ainsi indispensable de s’interroger aujourd’hui davantage sur l’échelle la plus large, à savoir celle de l’« histoire monde ». Plutôt que de s’attacher aux oscillations présentes autour de catégories telles que l’« histoire globale » ou l’« histoire mondiale », dont les modes d’analyse assez divers manifestent l’instabilité du moment historiographique, on s’efforcera d’étudier, en accordant une large part aux cas concrets, les questionnements à caractère « transnational », les interactions et peut-être également la force des cloisonnements.

Enfin, sur ces sujets, les enjeux historiographiques – dont la portée tient partiellement au fait que nos cadres chronologiques habituels ne sont pas forcément adaptés à de telles questions – et pédagogiques s’avèrent essentiels et méritent d’être envisagés.

1. Échelles et pertinence des échelles

Il s’agit de s’interroger sur toutes les échelles, spatiales et temporelles, à travers l’analyse des interactions, des échanges, des convergences et des différences, des réseaux. Le comparatisme devrait contribuer à mettre en évidence les rencontres ou les discordances, de l’un à l’autre des espaces abordés. L’examen de cas concrets, situés et datés, outre leur intérêt propre, peut permettre de déterminer quels sont les espaces pertinents pour l’étude des connexions. Il serait nécessaire, aussi, d’analyser la nature et la forme des liens, afin de mieux les définir, ainsi que leur plus ou moins grande permanence, prolégomènes à une véritable histoire comparatiste.

Trois thématiques sont proposées :

  • les hommes en tant qu’acteurs de ces connexions : marchands et voyageurs, religieux, savants, nobles, esclaves… ;
  • les objets : trafics et transports de tel ou tel produit (vin, grains, sel, épices, bois, pierres, minerais, draps, objets en métal, armes, livres… ) ;
  • les espaces et leurs articulations, avec les notions de royaume et d’empire, de centre et de périphérie – à définir dans un contexte médiéval –, les zones frontières et les façades maritimes, les milieux naturels…

2. Le monde

Si l’un des projets de l’histoire globale réside dans la « provincialisation de l’Europe » (D. Chakrabarty), encore importe-t-il de s’accorder sur ce qu’est l’Europe au Moyen Âge, et de tenter préalablement d’appréhender l’histoire globale de l’ancien monde. À défaut d’une définition qui fasse consensus, la notion d’Europe se charge pendant la période médiévale d’un contenu culturel, selon des modalités qu’il convient encore de discuter. La question du « Moyen Âge » se pose également : quelle est cette période, sinon celle où se situent les objets sur lesquels nous travaillons ? Abordons ainsi les problématiques partagées, en se gardant de l’européocentrisme et en tenant compte des césures : celle des XVe-XVIe siècles, mais aussi, antérieurement, celles que marquent la constitution de l’empire islamique et plus tard l’expansion mongole. En découle un second ensemble thématique :

  • le monde à l’époque médiévale – réflexions savantes de géographes, de voyageurs, de philosophes, d’historiens ; les « visions du monde », au travers d’une archéologie du regard, attentive au risque de rétroprojection ;
  • les hommes et leurs représentations, au témoignage des cultures et des langues, des migrations et des sédentarisations, dans les univers curiaux, dans les mondes urbains et les mondes ruraux, dans le monde du savoir et de l’enseignement, dans le « monde des artisans » ;
  • les modes de vie, de travail et de consommation ; les pratiques culturelles et religieuses, les métissages, la circulation des idées et le transfert des cultures ; les religions ;
  • les lieux, les entreprises, les aventures humaines qui révèlent des connexions : les conflits, les réseaux de commerce… ;
  • les premières rencontres avec l’« autre », les récits de voyageurs ;
  • l’alimentation, les maladies et la santé des populations, la gestion des ressources, la mer, les migrations…

3. Comment on écrit et enseigne cette « histoire monde » (hier et aujourd’hui)

Enfin, il serait souhaitable de clôturer le congrès en rassemblant de brefs exposés (une dizaine de minutes) relatifs à des expériences historiographiques et pédagogiques, suivis d’un débat avec la salle, autour des questions suivantes :

  • quelles sont les visions des mondes mises en oeuvre par les médiévistes ?
  • quelle idée a-t-on du « Moyen Âge » comme processus, à des moments différents, dans diverses sociétés ?
  • quelles sont les façons d’enseigner l’histoire du monde ? Y a-t-il des histoires récits du monde, des enseignements par « aires culturelles » ? Peut-on repenser et problématiser autrement l’histoire générale ?

C’est à l’ensemble de ces interrogations que nous souhaiterions inviter à réfléchir afin d’ouvrir à d’autres horizons, à des espaces et à des questionnements différents. On espère que les thèmes abordés lors de ce congrès aideront à « faire un pas de côté », à maintenir en alerte la réflexivité critique, entre autres face aux illusions rétrospectives, aux certitudes collectives, à la ténacité des préjugés.

 

Livret du congrès

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