LIIe Congrès de la Shmesp – XLIIIe Rencontres du RMBLF
Bruxelles, 20-22 mai 2021

Modèles, réseaux et échanges curiaux

En raison des conditions sanitaires liées à la pandémie de la Covid 19, ce Congrès s’est tenu dans des conditions exceptionnelles, en ligne…

Argumentaire

La cour a été, de longue date, l’un des terrains d’enquête favoris des écoles historiques française, allemande et américaine ; au milieu du siècle dernier, les travaux fondateurs de Norbert Elias et Ernst Kantorowicz contribuèrent – ils ne furent pas les seuls – à lui donner droit de cité dans la recherche universitaire. Depuis les années 1990, le sujet fait toutefois l’objet d’une attention et de problématisations renouvelées. Quelles que soient les périodes ou les régions envisagées – certes selon des modalités multiples et variées –, les systèmes curiaux offrent un creuset particulièrement propice à l’étude des sociétés médiévales, pour ne rien dire de leurs homologues antiques, modernes, voire contemporaines. Ils permettent en effet à la société de se structurer au plus près de celui qui en occupe, considère ou est considéré en occuper le centre – et il ne s’agit pas là uniquement des princes et souverains – et autour duquel s’imposent des bornes plus ou moins fixes, plus ou moins respectées. Les différences sociales, culturelles ou politiques s’y marquent ainsi souvent avec plus de vigueur qu’ailleurs, tout en y trouvant, sans que ce soit paradoxal, les canaux à même de les lisser et d’autoriser les échanges, les transferts et les influences mutuels. Lieu d’échanges, la cour reste aussi un lieu de distinction, que ce soit par les modes qui y émergent et en rayonnent ou par la perpétuelle mise en scène, du corps et des décors par exemple, qu’elle engendre.

À ce titre, le Réseau des Médiévistes belges de Langue française (RMBLF) invite la Société des Historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (SHMESP) à se pencher avec lui sur ces questions, selon les approches complémentaires et interdisciplinaires qui font, à tous deux, leur marque de fabrique.

La cour sera ainsi abordée non seulement comme moyen de gouvernement, mais également comme lieu de production et de consommation – matérielle et culturelle –, comme creuset de réseaux de solidarités et de dépendances, comme société particulière réglée par des lois et des usages, aussi bien écrits qu’oraux, et enfin comme espace architectural et physique complexe. Autant de chantiers à aborder en faisant imploser les limites méthodologiques – notamment en tirant parti des nouvelles approches en matière d’analyse de réseaux –, géographiques – par-delà les « frontières » de l’Europe – et chronologiques – tant en remontant avant la « chute de l’Empire romain » qu’en embrassant l’époque des Grandes découvertes. Il ne s’agira pas, dès lors, de limiter l’analyse aux seules cours pontificales et royales. L’ambition sera aussi de traiter des espaces auliques de princes temporels, de dignitaires religieux, voire de sires de rang infra-comtal. Le thème choisi pour cette rencontre permettra à des chercheurs d’horizons divers de mener une réflexion commune autour de problématiques qui gagneront beaucoup du comparatisme et des questionnements croisés. L’objectif d’une telle approche est de favoriser l’émergence de modèles explicatifs de la nature et du développement des sociétés curiales du Moyen Âge.

Les interventions se structureront autour de trois axes complémentaires :

A. Gouverner par la cour

La cour est, en premier lieu, un espace de gouvernement. Si les leviers que celui-ci actionne ne sont pas tous situés dans l’espace aulique, ils n’y trouvent pas moins leur source et, souvent, les personnes qui les manipulent. Plus encore, les dispositifs curiaux permettent au prince ou au seigneur d’exercer son pouvoir directement sur ceux qui y résident, ponctuellement ou de façon permanente. Cet entourage, en retour, fait le prince en se mettant à son service. Si l’histoire politique a déjà considérablement défriché ce terrain, il conviendra à l’occasion de cette rencontre de faire le point sur les apports de la recherche récente, d’une part, et, de l’autre, d’ouvrir le champ de la réflexion à d’autres approches et méthodologies.

B. Logistiques curiales : économie, culture, symboles

À l’échelle régionale, les cours ont toujours joué un rôle économique de premier plan. Les sièges épiscopaux mérovingiens et carolingiens, à l’instar des palais bourguignons des xive et xve siècles, en sont des exemples bien connus qui pourront être comparés à d’autres cas d’espèce. Les systèmes de ravitaillement, les organisations commerciales qui en tiraient tout ou partie de leurs revenus, ou encore les produits qui y étaient consommés pourront être abordés lors de ce congrès. Plus largement, le caractère déterminant de la cour dans la santé, voire l’élan, économique d’une ville ou d’une région sera lui aussi interrogé. Ne se limitant pas à ces seuls aspects économiques, il conviendra d’évoquer les implications culturelles de la consommation de luxe et d’art, dans toutes ses formes, propre à cette société de la distinction qu’est la cour. Celle-ci engendre en effet des goûts esthétiques particuliers qu’il importera de mettre en lumière. Et ce d’autant plus que le nombre des potentiels clients et patrons qu’elle abrite en fait un point focal pour les artistes, qui s’efforcent d’y paraître et de s’y établir. Enfin, le lieu physique de la cour – tels les châteaux ou les palais, qu’ils soient possessions de seigneurs laïcs ou ecclésiastiques – sera lui aussi étudié, tant dans ses dimensions matérielles que symboliques.

C. La cour : une société, des réseaux 

À l’image de toute société humaine, la cour connaît une organisation particulière, qui lui donne son aspect et structure son existence autant qu’elle l’assure. Plus que l’étude d’individualités, on se focalisera ici sur la façon dont celles-ci sont situées dans le vaste appareil, pratique et symbolique, des cours médiévales. L’apport de bases de données, qu’elles servent d’appui à une analyse prosopographique ou à une analyse de réseaux, se signale à cet égard par son importance capitale, tant elles contribuent à révéler combien des parcours personnels aident à la connaissance d’un système global. Outre ces structures « humaines » ou « sociales », on s’intéressera ici aux lois et usages – écrits, telles les ordonnances, ou oraux, observables de façon sans doute moins directe – qui structurent la société curiale. À ce titre, la religion, quelle qu’elle soit, s’est toujours trouvée insérée dans ce contexte particulier, pourtant traditionnellement associé au développement des vices. Nul ne l’ignore plus, le religieux joue en effet un rôle essentiel dans la construction des pouvoirs. Mais, au-delà du champ du politique, la cour n’en demeure pas moins aussi un lieu de prédication particulier, où évoluent des figures parfois aussi protéiformes et difficilement réductibles à un prototype que celle du confesseur du prince chrétien.