Les villes capitales au Moyen Âge
XXXVIe congrès (Istanbul, 2005)
Paris, Publications de la Sorbonne, 2006.
Disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.persee.fr/issue/shmes_1261-9078_2007_act_37_1.
Ubi papa, ibi Roma : Rome peut bien n’être pas dans Rome puisque Rome est là où réside le pape. Cet adage du XIIIe siècle exprime avec force le rapport d’identification entre la ville et le souverain, définissant la capitale par sa fonction de commandement politique. Mais elle s’applique à une capitale étrange au Moyen Âge, qui se rêvait caput mundi mais peinait à s’affirmer comme capitale régionale.
Qu’est-ce donc qu’une ville capitale au Moyen Âge ? Au-delà des fausses évidences de la continuité millénaire de la centralisation parisienne et, dans une moindre mesure, londonienne, la question est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Certes, le modèle romain de la capitale d’empire a pu se prolonger sous des formes diverses, avec Constantinople, Bagdad ou Le Caire. Mais lorsque les Carolingiens rétablissent l’empire en 800, ils ne retrouvent pas pour autant ce modèle de la capitale d’empire. Si l’on considère l’ensemble des expériences institutionnelles et territoriales de l’Occident médiéval, c’est bien la dispersion des fonctions capitales qui constitue la règle et leur concentration l’exception.
En se tenant à Istanbul, à l’invitation de l’Institut français d’études anatoliennes, le XXXVIe Congrès de la Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public trouvait un cadre monumental et historique parfaitement adéquat à son objet d’étude, à mi-chemin entre plusieurs expériences politiques que les différentes contributions ici rassemblées entendent confronter, en longue durée. Car faire l’histoire des villes capitales revient à poser la question de la diversité des modèles d’émergence de l’État : les rapports entre le palais et la ville, mais aussi les phénomènes de déplacement du centre de gravité des constructions territoriales, d’abandon ou de reprise de capitales, dessinent plusieurs configurations de pouvoir.
Essentielle est, de ce point de vue, la question des marqueurs symboliques : une ville réussit à convaincre qu’elle capitalise différentes fonctions de commandement par des images et des rituels, des mots et des murs, la mobilisation d’une mémoire et la monumentalisation de leurs lieux. Elle peut continuer à jouer longtemps du prestige d’une capitalité évanouie. En saisissant l’impact à la fois matériel et idéel de la centralisation administrative dans la société urbaine, les différentes contributions de ce volume tentent donc de donner tout son sens à cette expression faussement anodine de « ville capitale » au Moyen Âge.
Table des matières
Régine Le Jan, Avant-propos
Formes d’émergence, d’affirmation et de déclin des capitales
Patrick Boucheron, Denis Menjot, Pierre Monnet, Rapport introductif
Thomas Granier, Capitales royales et princières de l’Italie lombarde d’après la poésie d’éloge (VIIe-IXe siècle)
Patrick Gilli, L’impossible capitale ou la souveraineté inachevée : Florence, Milan et leurs territoires (fin XIVe-XVe siècle)
Fabien Faugeron, De la commune à la capitale du Stato di Terra : la politique annonaire et la constitution de l’État de Terre ferme vénitien (1ère moitié du XVe siècle)
Çigdem Kafescioglu, La reconstruction de l’espace et de l’image de la capitale impériale : Constantinople/Istanbul dans la seconde moitié du XVe siècle
Boris Bove, Alliance ou défiance ? Les ambiguïtés de la politique des Capétiens envers leur capitale entre le XIIe et le XVIIe siècle
Jean-Philippe Genet, Londres est-elle une capitale ?
Capitales d’empire
Jean-Claude Cheynet, Rapport introductif
Michel Sot, Aix-la-Chapelle au miroir de Constantinople
Christophe Giros, Constantinople et les grands monastères provinciaux sous les premiers Paléologues
Georges Sidéris, Une société de ville capitale : les eunuques dans la Constantinople byzantine (IVe-XlIe siècle)
Feridun M. Emecen, Les capitales maudites : l’image d’Istanbul dans la littérature ottomane avant la conquête
Marqueurs sociaux et symboliques des capitales
Claude Gauvard, Rapport introductif
Philippe Depreux, Le “siège du royaume” : enjeux politiques et symboliques de la désignation des lieux de pouvoir comme sedes regni en Occident (VIe-XIIe siècle)
Magali Coumert, La mémoire de Troie en Occident, d’Orose à Benoît de Sainte-Maure
Laurence Delobette, Oublier Constantinople ? L’Éloge de Nicée par Théodore II Lascaris
Julien Loiseau, Les demeures de l’empire. Palais urbains et capitalisation du pouvoir au Caire (XlVe-XVe siècle)
Pascal Montaubin, De l’an mil à la Renaissance : de qui donc Rome fut-elle la capitale ?
Jean Kerhervé, Sylvie Denoix, Conclusions
Capital Cities in the Middle Ages:
36th Congress (Istanbul 2005)
Ubi papa, ibi Roma: Rome may not always be in Rome, for Rome is wherever the Pope is in residence. This 13th Century adage underlines the identification between city and sovereign; the capital is defined by its function of political command. The capital in question was a strange choice in the Middle Ages for, while seeing itself as the caput mundi, it had difficulty being recognized as a mere regional capital.
What, therefore, was a capital city in the Middle Ages? We must look beyond the false evidence that comes from a centralized Paris that goes back over a thousand years or to a lesser degree London: things are more complex than they appear at first. It is true that we find the Roman model of the imperial capital persisting under various forms with Constantinople, Baghdad and Cairo. Nevertheless, when the Carolingians re-established the Empire in 800, they did not go back to the model of the imperial capital. In fact, what characterized the institutional and territorial experience of the Medieval West was the dispersion rather than the concentration of the various functions of a capital.
The 36th Congress of the SHMESP took place in Istanbul, at the invitation of the French Institute of Anatolian Studies. Here we found a décor suited to our endeavor. It is a historical and monumental setting, at the heart of some of the political experiences compared and contrasted by our contributors over a long-time scale. For writing the history of capital cities leads one, inevitably, to focus on the diversity of the models of the emergence of the state. The relationship between the palace and the city, as well as the movement of the centers of gravity of territorial constructions, the abandon of and return to various capitals – all this shows a number of different configurations of power.
From this point of view the question of symbolic markers is essential. A city is able to convince that it controls various functions of commandment through image and ritual, words and walls, by the mobilization of memory and the building of impressive monuments. It can continue enjoying the prestige of a defunct capital for very long. By concentrating on the simultaneously material and ideal aspects of administrative centralization in urban society our contributors have attempted to restore a richness of meaning to that seemingly anodyne term “capital city” in the Middle Ages.
Régine Le Jan, Preliminary Remarks
Forms of Emergence, of Affirmation and of Decline of Capitals
Patrick Boucheron, Denis Menjot and Pierre Monet, Introductory Report
Thomas Granier, Royal and Princely Capitals in Lombardy according to Praise Poetry (7th-9th Century)
Patrick Gilli, Impossible Capital or Incomplete Sovereignty: Florence and Milan and their Territories (End of the 14th-15th Century)
Fabien Faugeron, From the Commune to the Capital of the Stato di Terra: The Policy of the Annona Tax and the Constitution of the Venetian State of Dry Land (1st half of the 15th Century)
Cigdom Kafescioglu, The Reconstruction of the Space and of the Image of the Imperial Capital: Constantinople/Istanbul in the second half of the 15th Century
Boris Bove, Alliance or Defiance? The Ambiguous Political Relationship of the Capetians with their Capital between the 12th and the 17th Centuries
Jean-Philippe Genet: Is London a capital?
Imperial Capitals
Jean-Claude Cheynet, Introductory Report
Michel Sot, Aix-la-Chapelle Compared to Constantinople
Christophe Giros, Constantinople and the Great Provincial Monasteries under the First Palaiologos Emperors
Georges Sidéris: A Society in the Capital City: The Eunuchs in Byzantine Constantinople (4th-12th Century)
Feridun M. Emecen, The Accursed Capitals: The Image of Istanbul in Ottoman Literature from Before the Conquest
Social and Symbolic Markers of the Capitals
Claude Gauvard, Introductory Report
Philippe Depreux, “The Siege of the Kingdom.” Political and Symbolic Aspects of the Designation of Loci of Power as Sedes Regni in the West (6th-12th Century)
Magali Coumert, The Memory of Troy in the West: From Orose to Benoît de Sainte-Maure
Laurence Delobette: Forget Constantinople? In Praise of Nicea by Theodore II Laskaris
Julien Loiseau, The Dwellings of the Empire. City Palaces and Capitalization of Power in Cairo (14th-15th Centuries)
Pascal Montaubin: From the Year One Thousand to the Renaissance: Of Whom was Rome the Capital?
Jean Kerhervé and Sylvie De Noix, Conclusions