L’université de Dole et les fondations princières en Europe au XVe siècle (Colloque international, Dole-Besançon, 21-23 juin 2023)

 Appel à contribution

 « Comme rares sont les princes sur les territoires desquels une université n’ait été fondée » : le dauphin Louis (futur Louis XI) justifiait ainsi la fondation de l’université de Valence en Dauphiné, le 26 juin 1452. Cette proposition installe la communauté des gens de savoir au cœur de l’espace politique de la principauté, et elle manifeste la conscience aiguë d’une politique universitaire princière. Fonder une université représentait un effort considérable pour le prince, dans un dialogue avec différentes autorités : la papauté qui autorisait la fondation ; la ville qui accueillait la communauté fondée ; les institutions ecclésiastiques locales qui la protégeaient ou contribuaient à son fonctionnement.

Les débuts restaient fragiles, tant les universités princières peinaient à s’insérer dans le réseau européen que dominaient les fondations les plus anciennes (Bologne, Paris, Oxford, Salamanque, etc.). Une refondation s’avérait parfois nécessaire pour faire vivre la communauté des maîtres et des étudiants. Dans ces conditions, que la création universitaire apportait-elle au prince ? Comment lui permettait-elle de construire son autorité par rapport à d’autres souverainetés concurrentes, royale ou impériale ? Et si l’université faisait le prince, que la fondation princière faisait-elle à l’université ? En quoi la volonté du prince orientait-elle la communauté instituée et le savoir dispensé ?

La célébration du sixième centenaire de l’université fondée à Dole par le duc et comte de Bourgogne Philippe le Bon, le 22 juin 1423, est l’occasion d’étudier la dynamique européenne des fondations princières au XVe siècle. Ces dernières présentent une grande proximité avec les universités que rois et villes fondèrent dans le même temps, aussi s’agira-t-il d’interroger la catégorie typologique d’université princière. L’université de Dole, à laquelle Jacky Theurot a consacré d’importants travaux, sera comparée aux autres fondations princières – universités et collèges – intervenues en Europe occidentale durant un long XVe siècle qui débute en 1385 à Heidelberg et, par-delà la fondation d’Alcalà de Henares en 1499, se prolonge jusqu’aux années 1520-1530, quand la Réforme protestante reconfigura les communautés universitaires selon des choix confessionnels et politiques, quand l’essor de l’écrit imprimé modifia les supports d’enseignement et la diffusion du savoir.

La comparaison privilégiera l’université de Louvain qui, fondée par le duc Jean IV de Brabant (1425), passa sous l’autorité de Philippe le Bon dès les années 1427-1433. Les universités de Dole et Louvain servirent ainsi la construction politique et territoriale de la Grande Principauté bourguignonne à cheval sur la France et l’Empire, chacune dans l’un des ensembles territoriaux discontinus du patrimoine dynastique. Ces deux cas seront replacés dans le mouvement de fondations qui concerna principalement l’Empire germanique au XVe siècle et auquel les princes participèrent : outre Heidelberg (1385) fondée par le comte Palatin du Rhin, Fribourg-en-Brisgau (1457) et Tübingen (1477) par exemple, sans oublier les fondations de princes ecclésiastiques, Trèves (1454 puis 1473) et Mayence (1476). La comparaison envisagera également les universités fondées dans d’autres espaces, en particulier dans les marges occidentales de l’Empire : Turin (1404) en Piémont et Aix (1409) dans le comté de Provence, ainsi que dans les principautés situées à la périphérie du royaume de France : Valence (1452) en Dauphiné et Nantes (1460) dans le duché de Bretagne. À partir du cas dolois, l’étude comparée des fondations princières privilégiera les questionnements suivants :

  1. Comment l’université s’intégrait-elle à la construction étatique portée par la revendication d’une souveraineté princière ? La fondation parachevait la construction d’une principauté, comme les électorats de l’Empire, laïques (Heidelberg) et ecclésiastiques (Trèves et Mayence), ou les territoires angevins (Aix) qui s’étendaient aux royaumes de Naples, voire Jérusalem. Elle participait également d’une expansion territoriale : Turin rejoignit bientôt la principauté savoyarde (1418) érigée en duché ; Dole et Louvain servirent la Grande Principauté bourguignonne ; Fribourg-en-Brisgau conforta la construction patrimoniale habsbourgeoise. Comment l’université s’articulait-elle aux institutions du gouvernement princier, dont il s’agissait de former officiers et conseillers ? Le cas de Dole suggère une dynamique de centralisation dans la capitale du comté de Bourgogne, qui se retrouve à Aix ou Nantes, mais pas à Louvain, que le duc de Brabant préféra à Bruxelles. Parmi les institutions princières, le parlement entretenait de forts liens avec l’université – le choix de Dole le montre. La reproduction sociale des juristes au service du prince conduit-elle la cour souveraine à contrôler l’université ? Les fondations princières doivent beaucoup aux docteurs qui, dans l’entourage du prince, aspiraient aux chaires de la nouvelle université. L’identité des premiers maîtres, recrutés parmi les professeurs d’universités préexistantes, les proches conseillers du prince ou les élites politiques et ecclésiastiques de la ville, permettra de mesurer l’influence de ces lobbys.
  2. Comment la fondation princière honorait-elle la ville qui s’y impliquait fortement ? L’action conjointe du conseil urbain et du prince se retrouve à Dole, Louvain et dans bien d’autres cas. Les villes intervinrent pour doter la première communauté en bâtiments, recruter les maîtres, protéger les étudiants, voire les loger ou acheter des livres. La lettre de Philippe le Bon précise les revenus affectés au financement de la fondation doloise, ce qui la singularise. Ailleurs passée sous silence, la question des ressources se posa pourtant à tous les fondateurs et détermina bien souvent la pérennité de l’institution. Dans quelle mesure princes et/ou villes esquissèrent-ils un financement public de l’université ? Les universités bourguignonnes restèrent à une certaine distance de la hiérarchie ecclésiastique locale, aucune n’étant implantée dans une cité (archi‑)épiscopale. Cette particularité ne se retrouve pas à Aix, ni dans les universités des princes ecclésiastiques de l’Empire.
  3. Comment les princes négocièrent-ils leur fondation avec la papauté et les autres autorités ? L’Église latine connut de profondes divisions au XVe siècle : le Grand Schisme d’Occident (1378-1417), puis la contestation conciliaire de la monarchie pontificale (1417-1449). Dans ce contexte, solliciter la création d’une université ou d’une faculté de théologie supposait de choisir une obédience, reconnaître l’un des deux ou trois prétendants à la papauté. Les papes sollicités et leur chancellerie se distinguaient-ils par des politiques universitaires distinctes, des écrits spécifiques ? Une attention particulière sera portée aux modèles documentaires. Dans quelle mesure les princes s’inspirèrent-ils du modèle impérial offert par Frédéric II à Naples (1224), voire Charles IV à Prague (1348) ? Les universités royales fondées en France au XVe siècle (Poitiers en 1431, Bourges en 1463) servirent-elles de (contre)modèles aux princes ?
  4. Les fondations universitaires du XVe siècle présentent la particularité d’être dotées de corpus de statuts à la fois complets, longs et imités les uns des autres. Revenir sur les statuts de Dole ou d’autres universités permettrait de mieux cerner cet intense processus normatif, d’en dégager les principales influences, mais aussi les ajouts originaux et les éventuelles interpolations. Comment les fondations princières recomposèrent-elles les parcours académiques ? Quel lien l’université de Dole entretenait-elle avec l’université de Paris ? Comment le prince bourguignon concilia-t-il sa fondation avec les puissants soutiens dont il disposait dans la communauté universitaire parisienne ? Les enjeux académiques et intellectuels prenaient ici une puissante portée politique, dans le contexte de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons (1407-1435) et de la double monarchie anglo-française inaugurée par le traité de Troyes (1420).
  5. Le prince fondateur guida-t-il le savoir produit et partagé par les maîtres et étudiants ? La philosophie politique aristotélicienne enseignée dans les facultés des arts, et l’enseignement des droits savants (romain et canonique) tendaient à constituer de véritables sciences de gouvernement. La création d’une faculté de théologie pouvait aussi constituer un enjeu majeur pour les jeunes universités princières, même si elles se contentèrent souvent de faire appel aux ordres religieux disposant déjà de studia dans la ville universitaire. Les fondations princières de la seconde moitié du XVe siècle favorisèrent-elle l’intégration universitaire de la culture humaniste ? Les cas de Wurtzbourg, fondée par le comte Eberhard V de Wurtemberg avec l’humaniste Johannes Reuchlin, et d’Alcalà de Henares, par la reine de Castille et le cardinal Cisneros en complément de la scolastique Salamanque, le suggèrent.

            Le colloque s’ouvrira par une conférence inaugurale à Dole le 21 juin 2023, puis il se déroulera à Besançon les 22 et 23 juin 2023. Ouvert par Jacques Verger, il comportera une conférence de Jacky Theurot et se terminera par des conclusions d’Olivier Mattéoni. Les actes en seront ensuite publiés. Les propositions de contribution, sous la forme d’un résumé (en français, anglais, allemand, italien ou espagnol), doivent parvenir avant le 1er mars 2022 à l’adresse suivante : emilie.rosenblieh@univ-fcomte.fr Le conseil scientifique dont la composition figure ci-dessous examinera ces propositions au début du mois de mai 2022.

 

Jacques Verger (Institut de France)

Émilie Rosenblieh (université de Franche-Comté)

 

Comité scientifique :

Marie Barral-Baron (université de Franche-Comté)

Gilles Lecuppre (université catholique de Louvain)

Rudy Chaulet (université de Franche-Comté)

Hugues Daussy (université de Franche-Comté)

Nathalie Gorochov (université Paris-Est Créteil)

Jelle Haemers (katholieke universiteit Leuven)

Thierry Kouamé (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Olivier Mattéoni (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Émilie Rosenblieh (université de Franche-Comté)

Jacky Theurot (université de Franche-Comté)

Jacques Verger (Institut de France)